Mitaine de Matane
Dernière mise à jour : 12 oct. 2021
Mitaine de Matane!
Cachée au fond des bois en retraite d’écriture, je termine le roman commencé l’an dernier. Sortie de ma tanière aujourd’hui, surprise par la fraîcheur de l’hiver, j’ai eu envie de me trouver des « p’tites laines » à la friperie du coin. À Saint-Damien dans Lanaudière, La Ruche est un organisme tout à fait charmant qui offre des repas, de l’écoute, des meubles et des vêtements aux gens dans le besoin, et des p’tites laines aux touristes frigorifiés.
Une fois le local repéré, j’y arpente les allées de bric-à-brac en vrac. Sur le mur du fond, de larges étagères débordent de vaisselle, de bibelots et de mille bébelles. Au centre, des supports de vêtements dépareillés offrent en masse de quoi me réchauffer. Étrange intruse, je me fais discrète entre deux rangées. J’adore ces endroits remplis d’histoires de vie, d’entraide et de gens colorés et authentiques.
Mal à l’aise, un bénévole attitré à l’unique cabine d’essayage étire tant bien que mal le trop petit rideau sur toute sa largeur, sans succès. Malgré ses efforts, il arrive à peine à préserver l’intimité pour une dame qui tente de se rhabiller. Pas prude pour un sou, visiblement, elle s’en fout!
– Ben on aura tout vu! Monsieur Richard, vous pourrez dire que vous m’aurez vue toute nue!
– Oh! Madame, vous savez, j’en ai vu des pires!
Le bénévole rougit et tout le monde éclate de rire.
Un drôle de personnage placote avec Henriette la caissière, tout en fouillant dans les dizaines de boîtes empilées près du comptoir.
– T’as-tu vu l’vent virer de bord Henriette? Chu pas fou t’sé! Chu pas fou! Mitaine de Matane moé j’te dis que d’ici une heure, y va faire tempête! Chu tu fou? Qu’est-ce que t’en penses Henriette?
– Ben non! Y va neiger, j’pense ben... Mitaine de Matane? Quel patois sympathique!
Affublé d’un trop grand manteau gris, gris du même gris que ses cheveux rebelles retenus sous une tuque du Canadien bleu blanc rouge, il s’exclame d’un coup sur le bonheur de trouver enfin… exactement ce qu’il cherchait.
– Ah! ben, ah! ben, en v’là! Mitaine de Matane, Henriette tu m’avais pas dit que t’avais ça!!!
Curieuse, je m’étire le cou pour jeter un regard discret sur sa trouvaille.
– Ah! ben, ah! ben Henriette, regarde-moi ça! J’aurais jamais pensé trouver ça ici en plein hiver! J’me su fait voler les miennes, y a des années de ça! Y faut j’les essaye!
Il s’asseoit sur un banc de l’autre côté de ma rangée. D’en dessous des vestes accrochées, je vois dépasser deux longues palmes jaunes qui clapotent par terre, presque prêtes à plonger!
Il a gardé ses bas foncés dans ses palmes, son long manteau d’hiver, et porte le masque assorti en tenant le tuba serré entre ses dents.
– Chu chancheux! Ec cha, ché chur que chu correct!
Devant l’air perplexe d’Henriette, il retire le tuba de sa bouche pour mieux se faire comprendre.
– Avec ça, c’est sûr que chu correct! J’m’en va aller voir ma famille en Gaspésie, pis enfin j’va replonger dans l’fleuve avec mes p’tits-enfants!
Et Henriette de répondre :
– Ben certain! T’es équipé pour de vrai là mon homme! Pis tu vas peut-être même pogner des poissons!
Et comme s’il faisait l’affaire du siècle, il demande sur un ton complice, « copain-copain » :
– Tu me fais ça à combien Henriette?
– Deux piastres, c’est-tu correct?
– Ah ben oui mitaine de Matane, c’est ben correct. Tu fais ma journée ma belle Henriette!
Puis il est retourné chez lui, simplement.
Je l’ai croisé sur le chemin du retour. Il rentrait à pied, le nez dans le vent, heureux d’être content au milieu des flocons ouatés. Tenant son sac de plastique aux trésors serré contre son cœur, son imaginaire baignait déjà sur les berges de Matane, entouré de ses petits-enfants. @Manon Vincent