Plonger. Me lancer dans le vide sans pouvoir revenir en arrière. Contrôler ma chute, risquer le pire et à chaque fois m’en sortir, quelle adrénaline ! 13 mars 2020. Mon maillot, mon casque de bain pis mes lunettes, j’étais prête. Bien droite, les bras chaque côté de ma tête, les mains jointes, genoux pliés, en position pour m’élancer. Du bout du plus haut des trois tremplins, mes pieds poussaient la planche rugueuse et flexible, de haut en bas, juste au-dessus de la grande flaque couleur aqua.
Au dernier élan, avant mon grand saut, parée au décollage et … stop ! Un coup de sifflet strident a résonné dans l’écho des eaux.
« Pandémie, tout le monde sort, rentrez chez vous, y a la Covid ! » Coupée dans mon élan, débalancée au dernier instant, non sans mal, j’ai dû rattraper mon équilibre. Ébranlée au milieu d’une sorte de vide, décentrée de mon objectif, je ne savais plus si je devais plonger comme prévu ou revenir en arrière pour descendre. Perplexe, je me suis lentement accroupie au bout de la structure, puis assise. En bas, le surveillant pressait les baigneurs de sortir de la piscine. « Pandémie, tout le monde dehors, rentrez chez vous, y a la Covid ! » Les ballons et les frites aquatiques abandonnés dans les vagues agitées grouillaient encore. Les mères rassemblaient leur marmaille grelottante au creux de grandes serviettes colorées, tandis que les retraités inquiets les aidaient à rassembler tous leurs effets, en prenant soin de ne pas glisser. « Pandémie, séparez-vous, deux mètres, rentrez chez vous, y a la Covid! » La peur avait gagné. Toutes les voix s’étaient tues. Tout le monde s’était enfui. Même le surveillant ne surveillait plus, pressé de vite rentrer chez lui. Il ne m’avait pas vue. Un vertige s’emparait de mes certitudes. Haut perchée, je tentais de me rassurer, de relever la tête, respirer calmement et regarder droit devant. Mon courage habituel s’enlisait dans mille questions pratiques évaluant si un saut dans la solitude serait trop périlleux. Une mauvaise chute est si vite arrivée. Frileuse à l’idée, j’avançai que reculer valait mieux. À cheval sur mon plongeoir, sans regarder ni en dessous ni derrière, les mains de chaque côté des fesses, je me tirais à contresens. Une fois, deux fois et trois, jusqu’à sentir la rampe froide et métallique sur ma cuisse. Je m’y suis vite agrippée, hors de danger. Hop ! Sur les genoux et puis debout, j’ai avancé en arrière. Me retournant pour empoigner l’échelle et entamer ma descente, j’ai revu la longueur du chemin parcouru pour atteindre mon but, avancer jusqu’au bout et plonger. Ma tête, consciente qu’il fallait reculer peinait à retenir mon élan qui ne demandait qu’à s’élancer. À reculons, je descendais les marches une à une, comme on rembobine un film avant d’avoir vu la fin. Je retrouvai ma serviette humide tombée par terre à cause du mouvement de panique, enfilé mes sandales et avancé sur le sol mouillé jusqu’au vestiaire vide. Dans l’urgence, comme si le feu consumait la piscine, je me suis vite rhabillée. Sur la tablette de mon petit casier, sous ma veste, j’ai retrouvé mon manuscrit scellé dans son enveloppe, timbrée, adressée et prête à être envoyée. J’avais planifié le poster à un éditeur après ma séance de plongeon. Est-ce qu’il me fallait reculer pour ça aussi maintenant ? Arrivée chez moi, les cheveux encore mouillés avec mon enveloppe sous le bras, je me suis sagement confinée. Je ne suis pas retournée plonger. Mon élan s’est suspendu, comme si le passé était révolu. Freinée dans ma relance, mes planifications se sont embuées, égarées dans un temps perdu, à jamais… Un an après je me demande, c’était comment avant ? J’en étais où déjà ? Ah oui ! J’allais me lancer ! Décalée, tenant l’instant présent pour unique certitude, je reprends mon courage. Je plonge dans l’incertitude en publiant mes pages, convaincue que l’énergie des ronds dans l’eau saura porter mon roman jusqu’à vous.
P.S. Juste entre nous, je n’ai jamais plongé d’aussi haut, et comme mon chat je n’aime pas l’eau, même si je sais bien nager. Peut-être qu’il faudra m’aider à faire des vagues, en brassant avec moi la toile de la grande piscine des réseaux sociaux. Manon
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